Mai 2023

La loi de financement rectificative de la sécurité sociale[1] pour 2023, qui porte la réforme des retraites, a été publiée au journal officiel du 15 avril 2023. Les principales mesures de cette loi s’attachent à faire reculer progressivement l'âge légal de départ en retraite et à accélérer le calendrier d'allongement de la durée de cotisation. Au-delà de ces deux mesures emblématiques, la loi prévoit d’aménager le compte professionnel de prévention (C2P).

Le C2P permet aux salariés, exposés à au moins un des six facteurs de risques professionnels éligibles, au-delà des seuils, d’accumuler des points pour se former et accéder à un emploi moins pénible, ou réduire son temps de travail, ou encore financer une majoration de durée d'assurance vieillesse en vue d'un départ en retraite avant l'âge légal. Dans le cadre de la réforme des retraites, des mesures visent notamment à encourager l’utilisation du C2P pour se reconvertir professionnellement. La loi prévoit également davantage de points pour les salariés multi-exposés et une limite dans l’utilisation du C2P pour passer à temps partiel. A noter qu’il faudra attendre la publication des décrets d’application pour rendre effectif l’ensemble de ces dispositions (à la date de rédaction de cet article, les décrets ne sont pas encore publiés).

Rappel sur le compte professionnel de prévention avant la loi portant réforme des retraites

Le C2P concerne les salariés exposés au-delà des seuils, appréciés après application des mesures de protection collective et individuelle, à au moins un des six facteurs de risques professionnels suivants[2] :

  • Les activités exercées en milieu hyperbare
  • Les températures extrêmes
  • Le bruit
  • Le travail de nuit
  • Le travail en équipes successives alternantes
  • Le travail répétitif

Dans le cadre de son obligation de sécurité et de protection de la santé physique des salariés, l’employeur évalue les risques professionnels de l’ensemble des salariés de son entreprise et plus particulièrement au regard des seuils d’exposition pour les salariés concernés par le C2P[3].

Au terme de chaque année civile et au plus tard au titre de la paie du mois de décembre, l'employeur déclare, dans le cadre de la DSN[4] ou de la caisse MSA[5] , pour les travailleurs titulaires d'un contrat de travail qui demeure en cours à la fin de l'année civile, le ou les facteurs de risques professionnels auxquels ils ont été exposés au-delà des seuils au cours de l'année civile considérée.

Pour les travailleurs titulaires d'un contrat de travail d'une durée supérieure ou égale à un mois qui s'achève au cours de l'année civile, l'employeur déclare dans la DSN ou la MSA et au plus tard lors de la paie effectuée au titre de la fin de ce contrat de travail le ou les facteurs de risques professionnels auxquels ils ont été exposés.

La déclaration permet d’alimenter en points le compte professionnel de prévention[6].

La gestion du compte professionnel de prévention est assurée par la Caisse nationale de l'assurance maladie et le réseau des organismes de la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général[7].

Le compte professionnel de prévention est ouvert dès lors qu'un salarié a acquis des droits. Les droits constitués sur le compte lui restent acquis jusqu'à leur liquidation ou à son admission à la retraite.

Evaluer l’exposition avec pour objectif : davantage de bénéficiaires

L'employeur déclare l'exposition des travailleurs à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels, en cohérence avec l'évaluation des risques[8], au regard des conditions habituelles de travail caractérisant le poste occupé, appréciées en moyenne sur l'année, notamment à partir des données collectives du document unique d’évaluation des risques[9].

Les seuils d’exposition pour les six facteurs de risques professionnels du C2P sont déterminés à l’article D. 4163-2 du Code du travail. Lorsque la loi était en projet, l’exposé des motifs indiquait que les seuils d’exposition, pour certains risques professionnels, seraient abaissés pour élargir le champ des bénéficiaires. Un décret d’application pourrait donc réviser les seuils d’exposition ainsi fixés.

Par ailleurs et sans changement, un accord collectif de branche étendu peut déterminer l’exposition des travailleurs à un ou plusieurs des facteurs de risques professionnels au-delà des seuils, en faisant notamment référence aux postes, métiers ou situations de travail occupés et aux mesures de protection collective et individuelle appliquées[10].

En l'absence d'accord collectif de branche étendu, ces postes, métiers ou situations de travail exposés peuvent également être définis par un référentiel professionnel de branche homologué par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail et des affaires sociales. L'employeur qui applique le référentiel de branche pour déterminer l'exposition de ses salariés est présumé de bonne foi.

Acquisition des points en cas de multi-exposition

Pour les salariés titulaires d'un contrat de travail dont la durée est supérieure ou égale à l'année civile, la déclaration donne lieu à l'inscription par l'organisme gestionnaire au niveau national sur le compte professionnel de prévention de [11]:

  • 4 points lorsqu'il est exposé à un seul facteur de risque professionnel ;
  • 8 points lorsqu'il est exposé à plusieurs facteurs de risques professionnels.

Pour les salariés titulaires d'un contrat de travail dont la durée, supérieure ou égale à un mois, débute ou s'achève en cours d'année civile, l'organisme gestionnaire au niveau national agrège l'ensemble des déclarations transmises par le ou les employeurs et établit, pour chaque facteur de risque professionnel déclaré, sa durée totale d'exposition en mois au titre de l'année civile.

Chaque période d'exposition de 3 mois à un facteur de risque professionnel donne lieu à l'attribution d'un point.

Chaque période d'exposition de 3 mois à plusieurs facteurs de risques professionnels donne lieu à l'attribution de deux points.

La loi aménage ces dispositions pour les salariés qui sont exposés simultanément à plusieurs risques professionnels[12] : pour ces salarié, les points seront désormais acquis en fonction du nombre de facteurs auxquels le salarié est exposé. Un décret à paraître devra en définir les modalités.

De plus, avant cette loi, le nombre total de points inscrits sur le compte professionnel de prévention ne pouvait excéder 100 points au cours de la carrière professionnelle du salarié.

La loi ne fait plus référence au nombre maximal de points pouvant être acquis par un salarié au cours de sa carrière, qui est actuellement définit par un texte réglementaire. Par conséquent, le plafond de 100 points devrait être supprimé par un décret à paraître[13].  

Utilisation du C2P pour une reconversion professionnelle

Un salarié qui a accumulé des points dans le cadre de son compte professionnel de prévention peut les utiliser pour[14] :

  • Se former en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels ;
  • Réduire son temps de travail en bénéficiant d’un complément de rémunération ;
  • Financer une majoration de durée d’assurance vieillesse et d’un départ en retraite avant l’âge légal de départ en retraite de droit commun.

La loi portant réforme des retraites, rajoute une quatrième possibilité :

Le C2P pourra également être utilisé pour financer un projet de reconversion professionnelle et accéder à un emploi non exposé ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels. Ainsi le bénéficiaire pourra mobiliser ses points pour financer des frais afférents à une ou plusieurs actions de formation, de bilan de compétences ou de validation des acquis de l’expérience[15],dans le cadre d’un projet de reconversion professionnelle.

Concrètement les points du C2P seront convertis en euros pour abonder le compte personnel de formation (CPF) afin de financer les coûts pédagogiques afférents à son projet de reconversion professionnelle[16].

En cas d’actions de formation devant être suivies en tout ou partie pendant le temps de travail, les salariés disposant d’un C2P pourront demander un congé de reconversion professionnelle à leur employeur, dans des conditions qui seront précisées par décret[17]. Dans ce cas, la mobilisation des points permet de financer la rémunération pendant le congé de conversion. Les points du C2P sont alors convertis en euros[18].

La demande d’utilisation des points pour un projet de reconversion professionnelle peut intervenir à tout moment de la carrière du titulaire du compte[19].

Le projet de reconversion professionnelle fera l'objet d'un accompagnement par les Opco[20] qui sera financé par France compétences au titre du conseil en évolution professionnelle. Cet opérateur informe et oriente le salarié et l'aide à formaliser son projet[21].

Les commissions paritaires interprofessionnelles régionales, aussi appelées ATPro[22] assureront l'instruction et la prise en charge administrative et financière des projets de reconversion professionnelle, dans des conditions fixées par décret à paraître[23].

Enfin, la durée du congé de reconversion professionnelle est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté. Le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu'il avait acquis avant le début du congé[24].

Utilisation encadrée du C2P pour réduire sa durée du travail

Le titulaire du C2P peut mobiliser son compte pour financer un complément de rémunération et les cotisations et contributions sociales légales et conventionnelles en cas de réduction de sa durée de travail.

La loi prévoit que lorsque le salarié n’a pas atteint son soixantième anniversaire, le nombre de point pouvant être utilisés pour réduire sa durée du travail sera plafonné. Un décret à paraître devrait fixer ce plafond[25].  

Communiquer autour du C2P

Enfin, la loi prévoit que l’organisme gestionnaire[26] du C2P communique le dispositif à l’égard des employeurs et des bénéficiaires du compte professionnel de prévention[27].

Cette initiative part du constat que le C2P est peu utilisé au regard des salariés bénéficiaires. L’objectif est de faire la promotion du C2P afin qu’il remplisse pleinement sa mission.

Muriel Besnard

Consultant Juridique

 

[1] Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 – Journal Officiel du 15 avril 2023

[2] Article L. 4163-1 du Code du travail

[3] Articles L. 4121-1 à L. 4121-3 du Code du travail

[4] DSN : Déclaration Sociale Nominative (déclaration prévue à l'article L. 133-5-3 du code de la sécurité sociale auprès de l'organisme gestionnaire au niveau local)

[5] MSA : mentionnée à l'article L. 723-2 du code rural et de la pêche maritime

[6] Article L. 4163-5 du Code du travail

[7] Article L. 4163-14 du Code du travail

[8] Evaluation des risques prévue à l’article L. 4121-3. Du Code du travail

[9] Article R. 4121-1-1 du Code du travail

[10] Article L. 4163-2 du Code du travail

[11] Article R. 4163-9 du Code du travail

[12] Article L. 4163-5 modifié du Code du travail

[13] Article L. 4163-7 modifié du Code du travail

[14] Article L. 4163-7 modifié du Code du travail

[15] Il s’agit des actions de formation énumérées du 1° au 3° de l’article L. 6313-1 du Code du travail.

[16] Article L. 4163-8-1 du Code du travail nouveau)

[17] Article L. 4163-8-4 nouveau du Code du travail

[18] Articles L. 4163-7 et L. 4163-8-1 nouveau du Code du travail

[19] Article L. 4163-7 du Code du travail

[20] Opco : Opérateur de compétences, institution mentionnée à l’article L. 6123—5 du Code du travail

[21] Article L. 4163-8-2 nouveau du Code du travail

[22] ATPro : Association de transition professionnelle mentionnées à l’article L. 6323-17-6 du Code du travaill

[23] Article L. 4163-8-3 du Code du travail

[24] Article L. 4163-8-5 nouveau du Code du travail

[25] Article L. 4163-7 modifié du Code d travail

[26] Organisme gestionnaire mentionné à l’article L. 4163-14 du Code du travail : Cnam au niveau national et Carsat au niveau local

[27] Article L. 4163-7 du Code du travail modifié